« […] l'éclectisme est notre goût ; nous prenons tout ce que nous trouvons, ceci pour sa beauté, cela pour sa commodité, telle autre chose pour son antiquité, telle autre pour sa laideur même ; en sorte que nous ne vivons que de débris, comme si la fin du monde était proche. »
Alfred de Musset, Confession d'un enfant du siècle, 1836.
Du papier à la rue
Si la publicité se réfère constamment à l'art, l'art de Nadège Dauvergne fait appel à la publicité pour soutenir un propos critique sur les consommateurs que nous sommes. Acheteurs à toute heure certes, nous consommons aussi « à l’œil » les images qui habillent notre quotidien. A chaque instant, des références iconiques se chevauchent, se télescopent ou se complètent devant nous sans que nous fassions l'effort psychique d'interroger leurs rapprochements ou leurs confrontations. Nous nous satisfaisons de « zapper » sous prétexte que l'on (re)connaît ce que l'on fréquente.
Nadège Dauvergne joue donc de ce paradoxe en dessinant au feutre Posca des personnages souvent esseulés droit sortis de tableaux célèbres de maîtres anciens sur des pages du catalogue Becquet, créateur en linge de maison. L'on pourrait ainsi voir en nous une Vénus ou une Danaé, une Madame Récamier ou une Madame Hamelin qui s'ignore au travers de ces dames de l'histoire de l'art posant langoureusement aux côtés d'objets à vendre. Ces femmes fortes sont plutôt à prendre pour le dialogue qu'elles instaurent avec la publicité sur laquelle elles s'affichent.
L'image ainsi combinée bouscule la notion de patrimoine en parodiant toute légitimité historique aux éléments publicitaires. Les modèles dessinés par hachures s'intègrent formellement au décor photographié et s'adaptent proportionnellement au cadre mais restent complètement décalés puisqu'ils sont liés à une époque, à un lieu et à un milieu qui ne sont pas ceux que propose la page glacée du catalogue de vente. L'humour naît alors de cette interpénétration de deux temps éloignés, de deux faits opposés, celui héroïque, historique, biblique ou mythique et celui du quotidien, de l'ordinaire, matérialiste et consumériste.
Au travers de ces exercices récréatifs, Nadège Dauvergne expérimente les effets sensationnels, les symboliques et les sens. Elle s'amuse et nous amuse en déjouant le sens de lecture, en trompant notre œil. L'image réalisée ne se subordonne plus au discours initialement pré-vu : elle provoque des controverses quant à nos habitudes et nos attitudes sociétales. En démocratisant l'art des siècles passés tout en sacralisant un moyen de communication du quotidien, Dauvergne lève techniquement et thématiquement le doute sur nos valeurs, nos centres d'intérêt et notre mode de vie liés au processus économique d'échange de prix contre un bien.
Parallèlement à ces petits formats, Nadège Dauvergne investit avec le même objectif les ostentatoires panneaux d'affichage qui exhibent aux yeux des passants - piétons ou automobilistes – les publicités qui couvrent leurs surfaces. Là encore, le parti pris esthétique repose sur l'exactitude du détail travaillé cette fois à la bombe aérosol et l'acrylique sur papier kraft marouflé, le soin technique, la recherche du sensationnel, l'adoption d'un idéal classique dans un monde contemporain mercantile et futile. Mais les campagnes publicitaires s'étalant selon une stratégie de temps et de lieu, l’œuvre disparaît par recouvrement.
Il en va de même pour les autres figures collées sur les murs ou sous les ponts et les quelques fresques réalisées en collaboration avec des graffeurs qui subissent les outrages du temps et des arracheurs. De ces travaux à échelle humaine serviles aux principes de la publicité et de la vie urbaine ne subsiste aujourd'hui que la trace photographique. La conservation sous forme de clichés de ces grandes publicités détournées, de ces collages sur mesure, de ces peintures in situ constitue le book de l'artiste, la mémoire « publicitaire » d'un œuvre esthétique et critique qui se poursuit au-delà des contraintes techniques, spatiales et temporelles.
Michaël Grabarczyk – 22 avril 2015. |