Un entretien réalisé
par Jérôme Deiss - Février 2013
Depuis combien de temps te consacres-tu
au street art ?
Ça fait maintenant un an et demi que je suis sur
Paris, donc mes premiers collages remontent à peu près
à un an.
Est-ce que ce sont certains street artistes
qui t’ont donné envie de te lancer ? Si oui lesquels ?
Quelles sont tes influences picturales principales ?
Oui, certains street artistes m’ont influencé
dans ce sens là, mais ce sont pas forcément des gens
qui font parti du milieu du street art. J’ai été
fortement impressionné et encouragé par la profusion
des formes artistiques urbaines quand je suis arrivé à
Paris. J’aimais déjà beaucoup le travail d’Ernest-Pignon
Ernest et d’artistes plus “sreet art” comme Blek
le rat, puis j’ai pas mal planché sur la question de
l’art dans l’espace urbain ce qui m’a fait découvrir
les travaux d’artistes comme Krysztof Wodiczko ou ZEVS. Quant
à mes influences picturales principales, c’est une
drôle de question car je considère que ce que je fais
est beaucoup plus de l’ordre du dessin que de la peinture.
Du côté de la peinture, ce qui me marque n’a
rien à voir avec ce que je fais, ce sont beaucoup plus des
gens comme Basquiat ou Jasper Jones que des peintres hyperréalistes
comme Chuck Close.
As-tu étudié dans une école
d’art ou ta formation est-elle complètement différente ?
Quel est ton parcours ?
J’ai fait une licence et un master d’arts plastiques
à la fac de Strasbourg. J’ai passé l’agreg
l’an dernier à Paris. Je suis actuellement prof d’arts
plastiques dans un collège dans le 93.
As-tu commencé à exercer en
tant que street artiste par le collage ou as-tu auparavant testé
d’autres techniques ?
Je suis venu au collage par le dessin et à mon travail
par l’installation vidéo. Dans la rue, j’avais
déjà expérimenté lepochoir ou le graff
quand j’étais gamin et plus récemment l’installation
vidéo. Le collage s’est imposé par ma technique.
Tu utilises principalement du papier kraft
et de l’encre de chine. Pourquoi as-tu choisi cette technique ?
Penses-tu que le toucher soit essentiel dans ton approche artistique ?
Ces deux matériaux sont-ils indissociables pour toi ?
Penses-tu qu’une certaine sensualité soit une donnée
importante dans le choix de la technique ?
J’ai choisi cette technique principalement parce
qu’elle me permettait de travailler rapidement, avec un niveau
de réalisme fort et des matériaux peu onéreux.
L’encre de chine, pour sa malléabilité, son
opacité et un médium d’une richesse incroyable.
Je travaille avec des brosses en jouant sur la variété
de traces qu’elle peuvent produire. Le Kraft est un papier
bas de gamme mais solide et très fin. Il résiste à
l'encre et boit la colle. Ces deux matériaux ne sont pas
forcément indissociables ni exhaustifs, j’utilise d’autres
techniques pour d’autres choses "d’intérieur".
Quant à la question de la sensualité, oui c’est
important car le travail de dessin que je fais est assez gestuel,
très dynamique, ce qui permet d’obtenir des textures
intéressantes.
La réalisation d’un dessin
nécessite-t-elle beaucoup de temps ? Comment travailles-tu :
la préparation est-elle plus importante que le collage ?
Alors, je te fais un historique du travail lambda ça
donnerais ça : Je me balade dans la rue, je repère
des endroits, je prends des mesures, je travaille sur un projet,
je fais une photo, je retravaille l’image sur ordinateur,
je la vidéo projette, je la dessine, je la colle. Donc, oui
c’est assez chronophage.
Il y a une véritable mise en scène
dans tes collages : tu te déplaces avant de coller.
Comment repères-tu et choisis-tu les lieux ? Est-ce
que ce sont les lieux qui t’inspirent un dessin ou le dessin
préexiste et tu choisis le lieu adéquat ensuite ?
Quels sont tes critères dans le choix du lieu ?
Je repère mes lieux en me baladant au hasard dans
des coins que je connais ou pas, je cherche des endroits qui puissent
offrir des interactions intéressantes avec des dessins. En
général il faut que l’endroit ai une particularité
à exploiter, qu’elle soit purement formelle ou plus
“connotante”, des choses qui produisent du sens. Certains
dessins ne sont pas du tout créés pour des lieux repérés
et je prospecte donc au moment du collage.
Pourquoi t’exposer dans la rue ?
Que cherches-tu à provoquer comme réaction ou comme
sentiment chez les passants ?
Pourquoi dans la rue... parce que je pense que c’est
dans ce genre de contexte que l’on peut bousculer les gens.
Mon travail jouant sur l’ambiguïté du statut de
l’image, sur une sorte d’effet trompe-l'œil, j’ai
besoin d’une contexte qui rende la réalité perméable
à ce genre de choses. J’essaie de faire en sorte que
mon travail étonne, qu’il ne livre pas un message clair
mais que le manque de limites entre l’espace réel et
l’espace du dessin, entre la situation représentée
et la situation qu’elle évoque soit sujet à
questionnements.
Pourquoi choisir des images figuratives
et notamment des personnages ? Comment penses-tu qu’ils
puissent interagir avec les individus qui se promènent dans
la rue ?
Mes personnages me permettent de créer des situations,
de faire des images qui interpellent (par anthropocentrisme) et
qui sont signifiantes par la posture, l’attitude, l’habit...
J’ai beaucoup pratiqué le théâtre à
Strasbourg ce qui a pas mal influencé mon travail vers une
certaine culture de la gestuelle. Quand je colle mes personnages,
j’ai l’impression de poser des comédiens sur
une scène. Je pense qu’ils interagissent avec le passant
par deux moyens. Le premier est physique : Ils occupent le même
rapport à l’espace que le passant (même taille,
même soumission au règles de la gravité), le
deuxième est plus émotionnel, la cohérence
des images pouvant forcer l’identification.
Penses-tu que les street artistes sont susceptibles
de repeupler différemment les grandes villes européennes ?
Pas seulement les villes européennes ! Les villes
en général et les campagnes aussi.
Tu quittes les lieux immédiatement
après ton collage, cela ne provoque-t-il pas une certaine
frustration de ne pas voir la réaction des passants ?
Si, c’est certain! On a envie de savoir ce qui va
advenir du collage, s’il va susciter des réactions,
parfois je reste un peu, ou je repasse plus tard, histoire d’observer.
Le street art n’est pas légalisé et pourtant
tu colles en pleine journée : as-tu déjà
rencontré des problèmes avec des riverains ou les
forces de l’ordre ? Pour toi, est-ce constitutif du street
art ? Avec la police jamais ! Ils sont passé une fois
à côté sans rien dire. Avec les riverains, j’ai
eu une fois un monsieur qui n’était pas content que
l’on décore le mur de chez sa mère mais rien
de bien méchant. En général les gens accueillent
plutôt chaleureusement la chose. |