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30.09.2008 > 12.10.2008

Jean-Pierre Duffour
ou la Géométrie des émotions

du 30 septembre au 12 octobre 2008
Vernissage le 2 octobre 2008 à partir de 18 heures

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La géométrie génère des émotions. Si la géométrie est la mathématique qui formalise l’espace, il existe aussi une géométrie affective qui l’« émotionnalise ». Rien de nouveau. Tout enfant enfoui dans son ennui, sait éprouver la douce euphorie de voir s’extraire d’un nuage un éléphant, que les volumes mouvants feront licorne ou lapin, ou même ganache grimaçante, c’est au choix. Puis on oublie. La redondance des formes patiemment inculquée dans ces lieux d’élevage, et non d’élévation, que sont école, collège et lycée, surcharge peu à peu cette faculté primaire, et à la fin du secondaire, au terme d’un long conditionnement, l’appétit de réalisme graphique aura gangréné le goût et éteint le génie imaginaire qui, de quelques vagues formes grossièrement découpées dans un ciel encombré de cumulus, ou un mur décrépi couvert de moisi, faisait jaillir une ménagerie. Historiquement, avec l’abstraction, la géométrie devint triomphante, mais hélas se substitua à l’émotion qui devait, c’était comminatoire, quitter le territoire de l’art. On mit l’émotion, le mal absolu pour les adeptes du concept omniprésent, à la porte des musées, elle revint par la fenêtre des ateliers. Souvent cependant, la mollesse des formes et la tiédeur des sentiments, ou plus grave encore, une certaine niaiserie œcuménique, obérèrent sérieusement l’intérêt de ce retour de la silhouette et du contour. On attendait les Kubin, les Schiele, les Goya de la géométrie, on vit de bons artisans, de convenables illustrateurs charriant de bien lénifiantes émotions, gluantes de bons sentiments. On attendait aussi, à l’heure où toutes les facettes de l’intelligence humaine tiennent désormais dans de gigantesques paquets binaires de 0 et de 1, que l’art parvienne à produire la même complexité en juxtaposant des étendues de noir et de blanc. On attendait un Jean-Pierre Duffour quoi.

Quand Jean-Pierre Duffour, m’envoya il y a 10 ans ses propositions graphiques pour le personnage d’LD’, j’eus le sentiment insensé qu’en quelques formes géométriques, il rendait les dizaines d’aphorismes et autres réflexions désabusées que j’avais accumulés, parfaitement superfétatoires. D’ailleurs je laissai parfois le dessin seul se substituer à mes méandres syntaxiques tant son silence était sémantiquement plus riche. Par bonheur, une complémentarité finit par naître de cet accouplement apparemment pléonastique, et en un triptyque, la gestation complète fut conduite à son terme. Durant ces années où l’existence sembla s’acharner à rendre la noirceur de notre personnage bien euphémique comparée à ce que nous avions à vivre lui et moi, la géométrie émotionnelle de Jean-Pierre Duffour se chargea d’une colère volcanique. Lui qui créa le dévoreur d’ombres, les fit nous dévorer. Ombres de la bêtise triomphante empreinte de certitudes dont les effets néfastes s’inscrivent dans nos chairs et torturent nos âmes. Aujourd’hui, sa géométrie émotive prend un nouvel essor. De l’effondrement du corps, de la déréliction muette vécue comme l’animal blessé au fond du cachot de sa détresse, celle qui marquait les œuvres qui illustraient « Le Fœtus Maudit », il est parvenu à la tension extrême, au rugissement sonore, au courroux rageur, à ce sursaut de révolte qui n’appartient qu’à l’Homme et qui, de Spartacus à Louise Michel, fait basculer l’histoire. Les ombres non pas chinoises, mais d’encre de Chine, que Jean-Pierre Duffour fait désormais surgir de son univers déjà prodigue en créatures apparemment énigmatiques, condensent une force d’évocation (cette « force qui va » comme on le disait de la peinture de Géricault) qui fascine, hypnotise, tant elle épouse nos effarements intérieurs. Seuls y seront insensibles ceux à qui ce monde et la condition humaine paraissent aller de soi et qui y trouvent leur petit bonheur satisfait. Les autres verront dans ces formes tourmentées la digne succession de l’univers de Kafka ou de Jarry. Asphyxie garantie.

Géométrie, tout est géométrie. Ainsi la concordance amoureuse. Toute histoire d’amour peut être schématisée, modélisée, sous la forme de figures géométriques. Et comme l’enfant qui ne parvient à faire entrer son carré dans le rond de sa plate forme d’éveil (comme si les enfants dormaient), chez Jean-Pierre Duffour, le triangle du gland n’a pas la forme idoine pour s’encastrer convenablement dans celui du sexe courtisé. Incompatibilité géométrique qui parait sonner le glas des espoirs Aristophanesques de la reconstitution de la boule originale, celle que les Dieux disloquèrent en deux moitiés complémentaires destinées à errer à la recherche l’une de l’autre.

Voilà, j’endigue prématurément ce flot, mais qu’on m’octroie l’espace nécessaire et je promets de le noyer sous les propos apologétiques d’un des plus fascinants et singuliers passeur d’émotion de notre temps.

D. Kelvin

 

 

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